Pervers pépère
Je referme écoeurée ce roman à la page 222. Non seulement il est ennuyeux, déprimant, inintéressant dans son propos mais, comble de l'indécence, d'une ambiguïté malsaine, au fond vraiment...
le 13 mars 2019
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"Cependant ils persistent, [...] et il s’agit là d’un spectacle touchant."
C’est peut-être le livre le plus personnel de son auteur, tant la déprime qu’il traversait à l’époque de son écriture transparaît dans les regrets qu’éprouve Florent-Claude Labrouste, son narrateur. La sérotonine, c’est la molécule du bonheur, celle qui, grâce au Captorix (cachet inventé), peut être synthétisée dans l’organisme de celui qui ingère le médicament.
Or, ce roman, c’est la défaite des antidépresseurs, surtout sur un individu qui ne cesse de boire, de l’alcool en l’occurrence, et ceci tout au long du roman. Difficile de ne pas y voir un miroir de l’auteur et de son rapport aux antidépresseurs, à la bouteille, aux femmes.
Le narrateur a fait les mêmes études que l’auteur, devenir ingénieur agronome était dans les plans de Houellebecq à un moment donné, il a finalement opté pour l’informatique avant de se plonger dans la littérature pour de bon. Je schématise mais c’est à peu près ça.
Je referme ce livre pour la troisième fois en pensant que c’est le plus abouti de son auteur et pourtant c’est surement celui qu’il a mené à bien dans des états seconds.
Qu’est-ce que cela raconte ? Ma critique n’a pas pour but de faire un résumé détaillé de ce livre, cependant, on y suit la vie d’un ingénieur agronome travaillant à la Direction régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (quotas laitiers et agriculture entre autres). Il quitte sa compagne japonaise du moment pour des raisons qui n’échapperont pas aux lecteurs attentifs, mais sur cela je ne souhaite pas m’étendre. Ce qui est important, c’est qu’il revisite des plages de son passé aux côtés de femmes qu’il a plus ou moins déçues, par des actions qu’il considère lui-même comme mesquines. Les retrouvailles avec une certaine Claire sont un moment d’anthologie dans ce qu’on peut décrire de plus incisif sur la déception, le temps faisant son affaire : « Il saura faner vos roses comme il a ridé mon front. » Ronsard
.
L’analyste Houellebecq est de sortie dans ce livre, comme suit :
« les années d'études sont les seules années heureuses, les seules années où l'avenir paraît ouvert, où tout paraît possible, la vie d'adulte ensuite, la vie professionnelle n'est qu'un lent et progressif enlisement, c'est même sans doute pour cette raison que les amitiés de jeunesse, celles qu'on noue pendant ses années d'étudiant et qui sont au fond les seules amitiés véritables, ne survivent jamais à l'entrée dans la vie adulte, on évite de revoir ses amis de jeunesse pour éviter d'être confronté aux témoins de ses espérances déçues, à l'évidence de son propre écrasement. » p.148
Houellebecq, comme dans d’autres de ses romans, fait parler son narrateur avec lucidité (on peut être en désaccord avec son propos, et je le suis la majeure partie de ma lecture), mais aussi des personnages qui tiennent des discours sur la vie, le plus souvent pessimistes et schopenhaueriens. Le docteur Azote a pour lui quelque passage assez savoureux de fatalisme spirituel, ou comment conseiller des escort à un neurasthénique.
Mais à vrai dire on était prévenu dès l’incipit de la teneur du roman, ce rituel de la machine à café et de la première cigarette qui fait « cessation du manque » est un écho à la situation de son narrateur/auteur. Ou encore le moment où le narrateur compare la sensation d’endormissement au bonheur faiblement entr'aperçu lors du rêve à deux qu’est l’amour.
Échec de la médecine face au manque d’amour, échec du sexe, échec du milieu professionnel à épanouir ses protagonistes. Échec occidental qui va de la vieille noblesse française (représentée par le personnage d’Aymeric D’Harcourt, le fermier tragique) aux CSP+ représentés par Florent-Claude.
« Plus personne ne sera heureux en Occident, pensait-elle encore, plus jamais, nous devons aujourd’hui considérer le bonheur comme une rêverie ancienne, les conditions historiques n’en sont tout simplement plus réunies. »
sur la condition humaine masculine :
«Les hommes en général ne savent pas vivre, ils n’ont aucune vrai familiarité avec la vie, ils ne s’y sentent jamais tout à fait à leur aise, aussi poursuivent-ils différents projets, plus ou moins ambitieux plus ou moins grandioses c’est selon, en général bien entendu ils échouent et parviennent à la conclusion qu’ils auraient mieux fait, tout simplement, de vivre, mais en général aussi il est trop tard.»
Le constat est tout à fait discutable tant il est puisé dans la même eau que l’intégralité des thèses développées par Houellebecq ( du style : « les gens n’écoutent jamais les conseils qu’on leur donne »), ce pessimisme simpliste a plutôt la subtilité d’un trébuchet que d’une maxime à graver au frontont de toutes les mairies. Ce n’est pas dans ce genre d’analyse que je préfère Houellebecq, c’est plutôt dans celle qui déscille les yeux comme ici, sur les saouleries estudiantines des années 2000 :
« ils s’enivrent brutalement, ingurgitent à toute vitesse des doses d’alcool énormes, comme pour atteindre l’abrutissement le plus vite possible, ils se soûlent exactement comme devaient le faire les mineurs du temps de Germinal. »
Ici je le trouve particulièrement juste et le parallèle ne me semble pas totalement usurpé.
La scène que j’avais retenue lors de ma première lecture, c’est le moment, qui est selon moi largement repris des entretiens avec le père dans La Carte et le Territoire, de l’écoute de Deep Purple et du morceau Child in Time dans la bâtisse d’Aymeric. On y trouve tout le désespoir et la franche camaraderie des années étudiantes des deux personnages et de toute une génération d’hommes ayant connu les joies d’une époque à jamais révolue. Et le bonheur existe, le narrateur le dit lui-même, il a existé pour lui, et l’on a envie de secouer le narrateur et de le déssiller à son tour.
« Qu’est-ce que nous pouvons, tous autant que nous sommes, à quoi que ce soit ? » dit Florent-Claude, Le narrateur s’est trompé de nombreuses fois, mais de là à s’éterniser dans les fumées de l’alcool, il faut pas charrier, surtout avec 700 000 euros sur le compte en banque. Je ne cherche pas à amoindrir la dépression que traverse le narrateur, mais j’essaye de mettre en relief une philosophie antithétique à l’insalubrité de la pensée houellebecquienne.
Je pense également que l’on peux retirer de la lecture de la Montagne Magique de thomas Mann ainisi que de la lecture de Marcel Proust un agrégat de connaissances et d’éclaircissements beaucoup plus vastes que les deux pauvres pages qui leur sont consacrées vers la fin du livre. (p.333 , p.336) leur auteur semble épuisé et ne peux accéder ni aux femmes, ni à l’art, ni à rien...
Je vous laisse découvrir à votre guise les deux dernières pages qui fournissent une synthèse de cette aventure sous antidépresseurs.
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Créée
le 23 août 2025
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