Pendant très longtemps, la chanson française resta pour moi un domaine aussi lointain que dénué de saveur ou d’excitation. Sorti des deux heureuses exceptions que constituaient Brassens et Gainsbourg, rien n’avait grâce à mes oreilles.
Et puis quand mes enfants eurent la curieuse idée de se présenter au monde par paquets de plusieurs, j’ai très rapidement eu envie de leur faire écouter autre chose qu’Henri Dès.
M’est alors venu à l’idée de leur concocter des CD mélangeant l’ancien et le nouveau, et très vite la compil de grands pour les petits vit le jour, auguste collection qui compta jusqu’à 18 volumes, avec jaquettes classieuses, regroupant aussi bien les deux divins sus-nommés, mais aussi Dutronc, Ferrer, Lapointe, Higelin, ou Renaud, que ce qui se faisait de rigolo dans les années 80 et 90. Les Ritas, Chao, Zebda, Fersen, Senséverino, Fabulous Trobadors, Massilia, Arthur H, Louise Attaque, ou Noir Desir, entre autres. Passés les deux ou trois premiers volumes, il me fallut bien trouver matière à alimenter les opus suivants, goulûment réclamés par mon adorable progéniture.
Une fois réalisé qu’il ne faudrait jamais essayer d’associer des mots comme rock et français, je me suis rabattu sur la chanson hexagonale avec un certain plaisir.


Murat fit partie de ces nombreuses découvertes, à ma plus grande surprise. Le type avait pourtant tout pour refouler du goulot. Dame patronnesse abonnée à la une des Inrocks, héros proclamé de la provoque douteuse au cours d’interviews auto-satisfaites dont il était presque le seul sujet, Jean-Louis représentait (et représente toujours) la quintessence de la tête-à-claque puante et sans intérêt.


Oui mais voilà il y a la musique.


Le point de jonction fut Mustango, en 1999, mix improbable entre Auvergne et Etat-Unis, proposant 11 morceaux imparables, servis sous la sceau d’une classe sèche et indiscutable, qui m’assirent pour les 20 ans qui suivirent. Artiste incontinent à l’inspiration inlassable dont les contours débordent largement le cadre européen, Murat a sorti depuis Mustango presque un album par an (14 en 16 ans pour ne parler que des studios avec compos originales) dont aucun ne peut être taxé de chef-d’oeuvre mais qui tous recèlent leur lot de pépites inspirées.
Jean-Louis, c’est le type qui ne cesse de vivre entouré d’une basse d’une batterie, d’une guitare et d’un piano, et qui n’aura de répit que quand il pensera avoir épuisé la totalité des possibilités que permet cette formation.
Autant dire que le type écrira jusqu’à sa mort, qu’on espère la plus lointaine possible.


Si aucun des disques évoqués n’est mauvais, on peut dire que certains sortent du lot.
Et c’est le cas de son dernier effort, superbement agencé.


Pourtant, putain, le double disque sentait le remplissage priapique de l’ensemenceur fou incapable de garder pour lui une partie de son liquide sémusical, qu’on imagine compulsif et matinal. Sans parler du thème des paroles. Les titres évoquent les grives, les cygnes, les chèvres, les frelons, la ferme, le camping, les ronces, une vallée (des merveilles), un col, la neige et la pluie, le Crest, Chamablanc, Le Chambon ou Le Sancy.


Tous ces feux d’alertes n’étaient pourtant là que pour nous détourner de l’essentiel, qui tient en une beauté désarmante continue, une ambiance générale absolument singulière et un disque qu’on peut se repasser en boucle pendant de longs mois pour enfin se souvenir à quel point ce monde peut être vivable et agréable.
Parce qu’il l’avoue assez rapidement, Murat a fréquenté la beauté, et comme ce n’est pas le salaud qu’il fait mine d’être, il nous la fait partager, le temps d’un nouvel album, dont un des nombreux paradoxes est de ne jamais avoir paru aussi céleste, sans pourtant avoir à quitter les terres boueuses et embrumées de son Auvergne natale.


Avec Babel, Murat confirme qu’il y a bien chez lui un côté indéniablement pénible. On adorerait l’oublier ou le détester mais c’est encore une fois impossible. Sans lui, le paysage de la chanson française serait orphelin d’un de se plus beaux ornements. Une sorte de grand chêne sur le bord du cadre, presque invisible par sa grâce classique, mais dont l’absence rendrait la photo terriblement incomplète.

guyness
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le 10 avr. 2015

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