Sorti en 2012, The Haunted Man est un album qui m’a profondément marqué par sa capacité à conjuguer l’étrange et le charnel, la vulnérabilité et la puissance. Si je lui accorde un solide 8/10, c’est parce que Natasha Khan, alias Bat for Lashes, y atteint une forme de maturité artistique rare, tout en conservant ce mysticisme poétique qui fait sa singularité.
Dès les premières notes de Lilies, on comprend que quelque chose a changé. La production, ici, opère un véritable virage par rapport aux précédents albums. Là où Two Suns ou Fur and Gold abondaient en couches synthétiques luxuriantes et en arrangements baroques, The Haunted Man fait le choix d’une épure radicale. La main de producteurs comme David Kosten ou Dan Carey se ressent dans cette volonté de dépouillement — mais il ne s’agit pas d’une sécheresse ou d’une froideur, bien au contraire.
La production agit comme un révélateur : elle met à nu la voix, l’émotion, les silences. Ce minimalisme n’est pas une économie de moyens, mais une esthétique pensée, presque militante. Sur Laura, un simple piano et quelques touches de cordes suffisent à créer un espace intime et fragile. Ailleurs, comme sur Horses of the Sun, les textures électroniques sont discrètes, presque organiques, glissant sous la mélodie comme un souffle.
Ce qui rend cette production fascinante, c’est sa capacité à suggérer sans surligner. Les percussions sont souvent sèches, presque tribales (Oh Yeah, The Haunted Man), tandis que les synthétiseurs, loin d’envahir l’espace sonore, dessinent des contours flous, comme des fantômes dans le lointain. Il y a là un équilibre subtil entre naturel et artificiel, entre chair et machine — et c’est ce jeu de contrastes qui m’a captivé.
Ce parti-pris crée aussi une cohérence esthétique forte. Même lorsque certains morceaux paraissent moins marquants sur le plan mélodique (A Wall, par exemple), l’identité sonore reste singulière, immédiatement reconnaissable. L’album respire, il ne cherche jamais à remplir pour combler, mais à laisser vivre les émotions dans l’espace sonore.
En ce sens, The Haunted Man est une œuvre qui invite à une écoute active, presque méditative. Il ne s’impose pas, il s’insinue. Ce n’est pas un album qui explose, c’est un album qui s’infiltre.
En conclusion, The Haunted Man est un disque à la fois étrange et beau, ancré dans la chair et traversé par les fantômes. Sa production audacieuse, tout en dépouillement et en finesse, sert une écriture émotionnelle sincère et maîtrisée. S’il n’atteint pas toujours l’intensité de ses moments les plus forts, il reste une œuvre précieuse, qui mérite l’écoute attentive qu’elle demande. Un album qu’on n’apprivoise pas tout de suite, mais qui nous hante longtemps après la dernière note.