le 29 nov. 2025
Enter the voice
Les dispositifs mêlant documentaire et fiction se multiplient ces dernières années : Little Girl Blue de Mona Achache, La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir mettent en place un dispositif...
Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.
Entremêler fiction et documentaire n'est plus vraiment une nouveauté. Si le Close Up de Kiarostami reste une référence en la matière, nombre de films ont adopté la recette : de Mona Achache (Little Girl Blue) à Romane Bohringer (Dites-lui que je l'aime) pour le versant intime, du récent Dossier 137 de Dominik Moll à Le Caire Confidentiel et Les Graines du figuier sauvage pour le versant politique. Dans Les Filles d'Olfa, Kaouther Ben Hania proposait un dispositif original : pour aborder le cas d'une famille décimée par l'islamisme, elle mêlait comédiens et vrais personnages de l'histoire. Le film, malgré quelques faiblesses, parvenait à sortir du lot. S'il le faisait, ce n'est pas simplement par le mélange fiction-réel mais bien par la façon dont il le mettait en œuvre. Et c'est bien ce qui interroge dans ce nouvel opus.
Pour dénoncer le massacre de Gaza par les Israéliens, Kaouther Ben Hania s'appuie sur une voix. La voix d'une petite fille de 6 ans, avec laquelle le Croissant rouge palestinien, organisme situé en Cisjordanie chargé de venir en aide aux Gazaouis en détresse, fut en contact. La réalisatrice tunisienne explique avoir été bouleversée par cet enregistrement, ce qui lui donna l'idée du film.
L'un des opérateurs téléphoniques, Omar, reçoit l'appel d'une jeune fille coincée dans une voiture qui vient d'être criblée de balles. Elle ne tarde pas à mourir. Il ne reste alors qu’une survivante dans l’habitacle, la petite Hind. Ses oncles, tantes et cousins autour d'elle sont tous morts. Le film raconte la tentative de la sauver, en dépit des obstacles. Car on ne peut simplement envoyer une ambulance chercher la petite fille, fût-elle seulement à "huit minutes" : il faut s'assurer que le parcours est sécurisé. Et ça, c'est long et compliqué.
Comment Ben Hania traite-t-elle son sujet ? De la pire façon possible : pour exprimer le caractère tragique de la situation elle montre une femme qui pleure en gros plan, pour traduire son caractère révoltant elle montre un homme qui rue dans les brancards. L'une des choses qui distingue la démarche d'un auteur, c'est précisément de ne pas recourir à ces expédients : si les personnages ont chaud par exemple, ne pas les montrer exsudant et se plaignant de la chaleur comme dans Valley of Love de Guillaume Nicloux. Les Frères Dardenne, à propos de leur film Le Fils ont évoqué le danger de sombrer dans la facilité dès lors qu'ils abordent un sujet tragique. Une préoccupation que ne semble pas partager la réalisatrice tunisienne.
Deux personnages incaent l'émotion face à deux autres qui portent la maîtrise rationnelle. Un homme et une femme de part et d'autre. Du côté de l'émotion, Saja, la supérieure hiérarchique d'Omar, se répand en grandes eaux au bout du fil avec l'enfant. Omar pleure aussi pas mal, s'impatiente, perd ses nerfs beaucoup. Du côté de la maîtrise, Mahdi, chargé de l'organisation des secours, entend ne faire courir aucun risque à l'équipe qui doit aller chercher la petite : il montre à Omar les photos des secouristes abattus par l'armée israélienne, assurant que s'il y en a de nouveau il arrête ce boulot. Nisreen est la psychologue qui s'efforce de calmer tout le monde.
Ce traitement n'est pas seulement indigent, il est aussi répétitif : Omar s'énerve après Mahdi, Saja pleure, Omar pleure puis insulte les gens de la Croix Rouge, Saja pleure, Omar affiche des photos de la petite fille pour faire pression sur Mahdi (comme si celui-ci ne voulait pas, lui aussi, porter secours à l'enfant), Saja pleure, Omar en vient aux mains avec Mahdi, Saja pleure. Tout cela, quasi exclusivement filmé caméra à l'épaule. Le degré quasi zéro de la mise en scène.
Le caractère larmoyant du film, qui déjà plombait Les Filles d'Olfa, est ici par ailleurs un contresens par rapport au matériau de base du film, la voix de cette enfant. Car Hind n'est absolument pas dans le débordement : elle ne cesse simplement de répéter "viens me chercher", comme n'importe quelle petite fille abandonnée. Cette sobriété est bien plus poignante que les réactions outrées du Croissant rouge qui nous sont données à voir. La cinéaste ne laisse pas venir à elle le spectateur : elle lui dicte ses réactions. Émotion obligatoire.
Et puis il y a cette fin, que l'on ne dévoilera pas, où le ton change. Un silence glaçant nous fait prendre conscience du caractère assez vain de l'agitation qui a précédé - et donc du film lui-même. Pour entretenir le suspense, Ben Hania a recours à la petite voiture qui bouge sur la carte, procédé vieux comme l'Alien de Ridley Scott, où le monstre apparaissait sur un écran tout proche de l'un des combattants du vaisseau.
Qu'il soit utile de dénoncer la tragédie de Gaza, personne ne le contestera. Mais si l'objet d'une critique est de traiter de la qualité cinématographique d'un film, force est de constater que ce tire-larmes ne rend pas hommage à la grandeur de sa cause. On comparera avec le Oui de Nadav Lapid, authentique geste artistique qui choisit de laisser hors champ les bombardements pour déployer son sujet de manière métaphorique. Gageons que le soutien d'un grand réalisateur comme Jonathan Glazer est plus politique qu'artistique. Car La Zone d'intérêt est un pur objet de cinéma. Tout le contraire de cette Voix de Hind Rajab.
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le 29 nov. 2025
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