A l'innocente la main pleine

Left-handed girl n'est pas qu'un film sur une petite fille gauchère à qui le grand-père dit que la main gauche est la main du diable (même si, oui, elle est très mignonne). C'est le portrait d'une famille marginale à Taipei, qui galère à payer le loyer du stand de marché que la mère loue pour tenter de gagner sa vie, malgré le petit boulot toxique trouvé par sa fille aînée. C'est un film sur quatre générations de femmes, chacune espacée de 20 ans. Un témoignage qui rend compte de l'évolution des modes de vie et des traditions, qui s'avèrent plutôt être des superstitions (la main du diable appartiendrait à un ange).

Teintée d'un humour discret, cette chronique familiale et sociale, qui décrit le monde précaire à l'ombre des buildings, s'inscrit en effet dans la veine du cinéma que Sean Baker réalise aux États-Unis (qu'il produit, co-scénarise et monte). Le premier film de sa productrice de toujours, Shih-Ching Tsou, inspiré par une anecdote de sa propre enfance sur sa main gauche, est plein de tendresse pour ses personnages et n'oublie jamais la dureté de la réalité sociale, où l'on n'hésite pas à parler d'argent. Avec toujours les hommes au pouvoir : patron toxique, mari patriarche, père absent, propriétaire autoritaire.

Left-handed girl est un film sur le regard des autres. Celui qui juge en permanence (par exemple l'échec de la mère par rapport à sa fratrie) et qui gangrène le regard intérieur, celui de la honte du pauvre (le vol, le sexe, l'ivresse) Un regard jamais libre, toujours gaspillé par le poids remord et de l'injonction à "bien se faire voir".

En somme, l'énergie du film crie qu'ils peuvent bien aller se faire voir, ceux qui veulent se faire bien voir des yeux du système. Car on est content qu'il soit enfin libéré, cet œil de la conscience. À la mauvaise conscience du pauvre se substitue la pleine conscience de classe. Tant pis pour les bonnes manières de façade.