Qu'est-ce qui déclenche en nous la passion du cinéma et de l'art en général ? Les émotions, les surprises, les instants de grâce. Par définition, quand on entre en art (oui comme en religion), notre virginité nous permet de multiplier ces phénomènes, on se retrouve régulièrement en arrêt devant une œuvre, bouleversé par la découverte de l'univers d'un artiste.

Puis le temps fait son œuvre, la boulimie culturelle crée une sorte de barrière à l'émotion originelle, la connaissance devient une digue de plus en plus haute et solide entre vous et l'objet du désir.
Le sens critique (tiens tiens comme on se retrouve) finit par prendre le pas sur notre propension à nous laisser happer sans résistance par le voyage qui nous est proposé.

Alors pour ne pas devenir définitivement blasé, il faut aller chercher le plaisir ailleurs et se contenter de
n'être terrassé de bonheur, de rage, d'émotion que de manière très épisodique. En acceptant cela, on se met à vibrer autrement, on s'amuse à décortiquer le plan d'un film, on se délecte à l'idée de déceler les multiples références d'un artiste...

Posé ce postulat de départ, je dois bien avouer que très souvent je n'attends pas grand chose d'un film, et tel était le cas avec celui-ci. Je l'entamais presque cliniquement, persuadé de ne voir que l'avant-dernier film de Claude Miller avant sa disparition, ce qui, il faut bien l'avouer, n'avait rien de particulièrement excitant sur le papier. D'autant que cela fait assez longtemps que ce réalisateur, pourtant coupable d'un de mes flms-cultes "La Meilleure façon de marcher", avait cessé de me surprendre, devenu un peu trop "bon petit soldat du cinéma français" à mon goût.

Voici donc une nouvelle preuve que face à l'art, il vaut mieux se garder de toutes certitudes. Je suis donc tombé sur cet objet passionnant et cela à plus d'un titre.
Une très belle expérience d'où je suis sorti assez bouleversé, pas pour le film en lui-même, trop maladroit, trop confus, pour s'y laisser prendre totalement. Mais pour le geste artistique et disons-le humain qui se cache derrière cette touchante maladresse. J'ai eu la sensation, 90 minutes durant, que Miller livrait avec ce film une lettre, lettre dans laquelle il nous expliquerait : "Je sais que je vais mourir bientôt et je veux me permettre ce que je me suis toujours refusé à faire durant toute ma carrière. Ne me jugez pas trop sévèrement, je vais pour cette fois oublié la rigidité, la retenue, la pudeur, la cérébralité auxquels je me suis toujours astreint. J'aime le cinéma à la folie, c'était toute ma vie, alors avant qu'il ne soit trop tard, je vais me l'offrir en grand, avec trop de tout, trop de musique, trop de travellings, trop de mélo, trop de flashbacks."

Voilà donc pourquoi et comment Miller en est arrivé à accoucher de cet ovni, tantôt ridicule tantôt magnifique, pourquoi il a décidé de tourner en scope dans les sublimes paysages canadiens, pourquoi il a filmé avec gourmandise deux femmes et actrices superbes...
Cette orgie de cinéma est exactement celle que fait depuis de nombreuses années un autre malade de son art, Claude Lelouch. Mais là où celui-ci est devenu un peu pitoyable, se caricaturant un peu plus lui-même à chacun de ses films, l'autre est terriblement émouvant, son geste étant unique, provoqué par l'urgence. Le grand saut ultime de l'artiste avant le grand saut définitif de l'homme.

NB : Ce film prouve une nouvelle fois que le cinéma est en train de passer à côté d'un énorme comédien, James Thiérrée.
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le 30 juin 2012

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