"Un monde sans Les Beatles est un monde bien pire."

Il est marrant de constater que certains accusent Danny Boyle, avec sa comédie musicale autour des Beatles, de repomper un concept déjà exploité dans une comédie française. Pourtant l’idée d’un monde ou une figure populaire ou connu de tous disparaisse de notre mémoire ou de notre histoire à l’exception d’une ou deux personnages ça ne remonte pas à Yesterday (et un placement de pub). Pour citer un exemple personnelle, La disparition d'Haruhi Suzumiya servant de conclusion à la série d'animation La mélancolie d'Haruhi Suzumiya rejoint aisément cette catégorie. Mais pour en revenir au sujet de la chanson, vu la gueule qu’a le métrage bien lourde de Laurent Tuel, le papa des Trainspotting a tout intérêt à ne pas se vanter de s’en être inspiré si il veut garder sa crédibilité (déjà que ce qu’on fait maintenant en terme de comédie française se déshonore toujours un peu plus chaque année).


Première expérience dans la construction d’une uchronie et passé le rite de passage de la maturité pour Boyle, il serait mentir de dire qu’il se détache de sa stylisation visuel volontairement propret et lissé au fil du parcours entamé par Jack Malick, compositeur-interprète raté et en fin de course qui va, à son tour, se retrouver à connaître des grands artistes ayant pourtant marqué toute une génération. Si l’exécution et la technique n’ont rien à comparer avec le film de Laurent Tuel, l’idée n’est pas si différente en effet puisque Hallyday comme Les Beatles ont chacun marqué la chanson à leur manière (après, les goûts et les couleurs).


Mais à l’inverse d’un Jean-Philippe qui s’enfonçait dans une finalité unique et fade au point d’en devenir gavant et de survoler les événements qui en résultait, Danny Boyle se penche réellement et plus sincèrement sur l’ambition de Jack en tant que musicien et son obsession grossissante sur l’absence d’un des groupes de musiques les plus marquant de leur époque (et encore maintenant, Les Beatles c’est intemporelle). Et surtout sur l’impact que prend cette tournure sans pour autant négliger la proximité émotionnelle qu’on doit partager avec eux (Richard Curtis ayant une bonne expérience en feel-good movie et en tant que scénariste).


La caméra changeant très souvent d’angle dans un même lieu sans pour autant s’éloigner de ce petit monde, un même échange et s’amusant à enchaîner les conversation d’un lieu à un autre sur une courte distance et Danny Boyle jouant majoritairement sur la composition et la largeur du cadre pour faire passer l’état d’esprit de Jack Malick et donner du dialogue scénique à son film musical. La séquence de promotion sur l’album de Jack (bien que loin d’être subtil) en est un bon exemple, la largeur des plans sur l’immense groupe de travail devenant vite étouffant pour le jeune artiste en herbe à la montée fulgurante et la caméra revenant lentement sur lui avec son air exprimant sa perte de contrôle et sa désorientation dans un monde dans lequel il se reconnait de moins en moins.


Néanmoins on peut avoir peur durant les 5/10 premières minutes. Ça ne part pas du meilleur pied, le rythme effréné et les coupures d’images habituels de Boyle au cours d’un dialogue ou d’une action devenant rapidement déstabilisant. La passion partagée pour Malick comme le soutien morale fort d’Elie envers son meilleur ami n’ont pas le temps d’être exposé avec un temps suffisamment étendue et on est en droit de craindre un film mal cousue (le passage du bide au festival Latitude au retour en ville). Je craignais même de revivre un pseudo Bohemian Rhapsody à ce stade, quand bien même Boyle n’est pas du genre à se faire déposséder de ses films contrairement à Singer et Fletcher qui n’avaient aucune harmonie dans le montage désastreux du film autour de Queen et de Freddie Mercury.


Heureusement à son crédit le film parvient à le justifier via l’enchaînement des événements qui s’accumulent de manière complètement insoupçonnés au point de dépasser Jack qui arrive de moins en moins à se sentir à sa place. Pas toujours certes


(la tentative de jouer un morceau au piano devant ses parents étouffe plus qu’elle n’amuse par le caractère de sa famille)


et ça finit par desservir l’émotion qui doit accompagner les décisions de Jack (la discussion entre lui et sa meilleure amie Elie au train est en demi-teinte) mais le stylisme et l’aspect publicité de Boyle trouve un écho plus que cohérent avec le succès de Jack Malick qui se transforme de plus en plus en une image commerciale et marketing au point de se voir dévorer un peu plus par une popularité qu’il n’a pas mérité, et dont il a nettement conscience en plus de voir des rappels perturbant à un travail qui ne lui appartient mais qu'il s'approprie sans mal dans un monde ou ses idoles n'existent pas.


D’ailleurs l’acteur Himesh Patel est judicieusement casté pour ce rôle de compositeur interprète raté en quête de renommé comme tant d’autres et qui aime la musique. En plus d’être un très bon interprète musical, et d’être souvent bien soutenu par la rafraîchissante et souriante Lily James (j’aime cette femme) comme soutien moral et amie souhaitant se situer à un meilleur pilier que celui ou elle se trouve, il suscite facilement l’identification émotionnelle auprès du spectateur et se questionne continuellement sur la légitimité de son parcours et sa grande imposture très ambiguë. Bien aidé par un humour globalement bon entre les remarques bien proportionné de Rocky en pote loser dont les apparitions ne nuisent pas à l’importance du récit, ou par le running gag d’un objet existant ayant disparu (que feriez vous dans un monde ou Coca-Cola n’existe pas ? Vous avez 4 heures).


Et aussi par la bonne exploitation des figures de la chanson ici présente, que ça soit Ed Sheeran jouant son propre rôle, servant de tremplin supplémentaire à Jack ou bien la présence réduite mais non négliger de deux têtes secondaires qui trouveront leur intérêt et serviront d’élément déclencheur pour notre compositeur interprète imposteur. Sans oublier la bonne réinstrumentation des morceaux des Beatles par Daniel Pemberton, la direction couleur made in Boyle qui est toujours plaisante à regarder selon le contexte dans laquelle il l’adapte ainsi que le capital sympathie qui ressort de divers rapports (l’amitié fusionnelle entre Elie et Jack qui se prête sans mal à l’évolution en changeant de cap).


Sans atteindre la tournure de carrière importante que représentait son T2 Trainspotting comme suite tardive ni épargner certains clichés redondant au genre (la manageur Mandi n’ayant pas grand-chose pour se distinguer, pour citer elle), Yesterday balance entre comédie musicale revisitant le succès des Beatles par les yeux d’un admirateur et une uchronie efficace tournant au bon feel good movie britannique assumé. Et à défaut d’être un Danny Boyle majeur, ça sera toujours mieux que de voir Fabrice Luchini harceler un Johnny Halyday anonyme juste pour satisfaire son caprice de fanatique obsédé.

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le 29 juin 2019

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