Évanouis
6.9
Évanouis

Film de Zach Cregger (2025)

Si le dernier long métrage de Zach Cregger se distingue, ce n’est pas par son habileté à créer de l’épouvante mais par la relation très verticale qu’il entretient avec son spectateur. Récemment adoubé par la critique comme le nouveau maître de l’horreur, il nous entraîne sur un territoire ultra-balisé mais pas dénué d’intérêt, pour finalement s’égarer dans un retournement scénaristique hasardeux.


Dès le début, la messe est dite. Une voix d’enfant pitche le film, comme dans une bande annonce. Le réalisateur semble redouter que l’on se perde dans un cadre qui pourtant est bien connu des amateurs de films d’horreur, en particulier des fans de Stephen King. L’action se déroule donc dans une petite ville de l’Amérique profonde, où une classe disparaît mystérieusement, à l’exception d’un seul élève. Leur maîtresse, une jeune femme à la vie chaotique, est soupçonnée d’être à l’origine de cet évènement. C’est avec elle que l’on fait connaissance avec le dispositif du film, qui suit une logique très sérielle. Après la bande annonce du début, s’enchaînent donc plusieurs épisodes, consacrés au point de vue de différents personnages, qui vont finalement s’additionner pour révéler le tableau d’ensemble. Tous les chapitres ont un fonctionnement assez similaire. D’abord, ils présentent les personnages, qui relèvent plus du concept que de l’incarnation : l’instit à la vie sentimentale agitée, le père courage, le policier incompétent, le drogué, le gamin traumatisé mais résilient. Ensuite, quelques éléments d’horreur font monter la tension : la certitude d’être épié par des forces invisibles, des visions inquiétantes, voire terrifiantes, l’inévitable jumpscare, bientôt suivi par l’apparition du monde. Puis, l’on conclut par un cliffhanger parce qu’il ne faudrait pas que le public, accoutumé à Netflix, relâche son attention ou pire, s’ennuie. A ce compte-là, il faut se demander si la forme film convient à cette œuvre ou s’il ne s’agit pas d’une série condensée. L’un des principaux défauts du format sériel, c’est qu’il faut toujours qu’il se passe quelque chose. On n’a pas le temps de construire une ambiance ou de s’attarder sur un détail, le scénario doit se dérouler, implacable, vers son inévitable résolution, forcément décevante.


Désamorçage en série


Le découpage feuilletonnant d’Evanouis se répercute sur la mise en scène. Pendant l’intégralité du film, on a l’impression que le réalisateur a la main sur notre épaule et guide notre regard vers ce qu’il juge digne d’intérêt. Sa trop grande efficacité, ou peut-être fluidité, constitue aussi sa faiblesse, la caméra suit un chemin tout tracé où l’on peut anticiper l’irruption parfois brutale de l’horreur. Par exemple, dans la séquence où Justine examine la maison d’Alex, aux fenêtres soigneusement calfeutrées par des papiers journaux, une ouverture est laissée pour permettre au personnage, et donc au public, d’entrapercevoir un intérieur, qui est bien sûr, assez inquiétant. La même chose se reproduit avec James, le junkie, quand la caméra balaye la végétation pour fatalement s’arrêter sur une figure clownesque, dont les couleurs vives ressortent sur l’écran de végétation. C’est le gros inconvénient de cette forme verticale, qui masque sa linéarité derrière une narration fragmentée. Au final, Cregger ne propose pas grand-chose, la facture très classique de son film l’oblige à avoir recours à des jumpscares et des effets gore pour tenir le public en alerte. Le found footage a beau avoir été utilisé plus que de raison dans le genre de l’horreur, il a au moins le mérite de décontenancer, de créer un rapport actif avec l’image. D’ailleurs, les réalisateurs du Blair Witch Project, les premiers à avoir utilisé cette esthétique, n’avait pas commis la même erreur que Cregger, qui, lui, choisit de révéler sa créature au grand jour. Ce faisant, il anéantit sa mystique et enterre toute possibilité de frisson car l’épouvante repose sur la confrontation avec une altérité opaque, indéchiffrable, qui brouille tous les repères.


Le corps de l’horreur (spoilers)


Et c’est bien là que le film pêche. L’évanouissement des enfants est en quelques sorte compensé par une surenchère de corps grotesques. Le problème, c’est que les « possédés » ne sont au final que des zombies contrôlés par une sorcière tout droit sortie d’Hocus Pocus. Le design de l’un d’entre eux est certes très réussi, tête gonflée, yeux exorbités, il n’en demeure pas moins parfaitement prévisible : il poursuit sa victime jusqu’à ce que mort s’ensuive et seule une balle dans la boite crânienne est en mesure de l’arrêter. On navigue en eaux familière. En outre, l’utilisation de l’archétype de la « hag » pose question. Déjà, difficile de ne pas hausser les sourcils quand le corps d’une femme âgée, aussi décrépit soit-il, est utilisé pour susciter la terreur, le dégoût. Ensuite, le projet de Cregger de remettre au goût du jour des monstres folkloriques est louable, mais le passage du réalisme à la fable satirique est mal négocié. Il ne réussi qu’à nous arracher un rire interloqué car l’on ne sait pas très bien ce que l’on vient de voir. Cregger chercherait-il à se moquer de « l’elevated horror » et de ses histoires parfois alambiquées ? Ou à se libérer d’un script qu’il ne parvient pas à mener à bien ? Dans tous les cas, il y a une erreur de ton. Le film comporte des séquences marquantes, l’énorme AK-47 flottant au-dessus de la maison d’Archer, la mère d’Alex qui s’introduit dans la voiture d’une Justine endormie, mais il échoue à nous emmener dans les zones troubles de la petite ville américaine. Encombré par une réalisation trop dirigiste, le film se crashe en prétendant faire de l’humour alors qu’il n’a pas grand-chose à dire. A la fin de la séance, on se demande si, à une époque où les forces de l’argent, à la puissance a priori illimitée, dévastent la planète, le bestiaire surnaturel peut-il encore faire peur.


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Vents-Contraires
6

Créée

le 20 sept. 2025

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