Parcours littéraire 2025
Première année de suivi complet 
 La découverte de la littérature chinoise, mêlant classiques (notamment les Quatre livres extraordinaires) et œuvres contemporaines ; 
 L’approfondissement de la Première Guerre mondiale, avant et pendant le conflit, à travers des romans d’auteurs tels que ...
114 livres
créée il y a 3 mois · modifiée il y a environ 8 heuresLa tentation nihiliste
Sortie : avril 2006 (France). Essai
livre de Roland Jaccard
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(31 octobre) 
 Petit essai en deux parties, *La Tentation nihiliste* de Roland Jaccard propose d’abord une plongée dans la pensée du vide, cette lucidité crue qui consiste à reconnaître que la vie n’a ni sens ni finalité. Dans la première moitié, Jaccard s’emploie à démonter les illusions rassurantes que nous nous construisons pour supporter l’existence : l’amour, le sexe, le mariage, les enfants, le meurtre, le suicide, la religion ou même la psychanalyse. Tout y passe. Il confronte les deux grandes issues humaines, la promesse de résurrection (le Christ) ou la disparition dans le néant (le Bouddha), et observe comment chacun tente, par la foi ou la névrose, d’échapper à l’angoisse du vide. 
  
 Cette première partie, dérangeante mais captivante, séduit comme une douleur qu’on choisit de sonder, une peur qu’on apprivoise. Elle force à se regarder à nu, à reconnaître nos fictions intimes pour ce qu’elles sont : des antidépresseurs existentiels. La seconde, plus classique, revient sur les grands penseurs du nihilisme, de Schopenhauer à Cioran, en passant par Nietzsche ou Stirner, et trace les lignes de leurs idées et de leurs vies. Intéressante, mais plus didactique, elle perd un peu de la puissance introspective du début. 
  
 Quelques éclats de pensée résument bien l’esprit du livre : 
 « Le nihilisme commence là où cesse la volonté de se tromper soi-même. Mais sans cette volonté, nous n’aurions ni l’ivresse ni l’art ni l’amour. Alors faisons “comme si”… et que la fête commence ! De sa magnificence dépendent l’étendue de nos naufrages et l’éclat de notre lucidité. » 
 Ou encore : « Se regarder dans la glace, c’est accepter une confrontation, parfois intolérable, avec ce que le temps et nos émotions y ont gravé. C’est se souvenir que, passé un certain âge, nous sommes les sculpteurs de notre propre visage. » 
  
 Dans son style clair et sans pathos, Jaccard parvient à rendre le désespoir presque élégant. Il ne cherche pas à sauver, encore moins à consoler : il invite à contempler le vide avec ironie, et peut-être à s’en faire un compagnon. Un essai bref, lucide, parfois cruel, une gifle métaphysique qui laisse un drôle de goût de vérité.
White (2019)
Sortie : 2 mai 2019 (France). Essai
livre de Bret Easton Ellis
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(31 octobre)  
 Avec White (2019), Bret Easton Ellis quitte la fiction pour livrer un autoportrait sans fard, une confession en miroir d'une époque qu'il juge malade de sa vertu. L'auteur d'American Psycho ne raconte pas seulement sa vie, il radiographie la nôtre : celle d'un monde post-11 septembre, post-cinéma, post-critique, où tout se vit à travers les écrans. 
  
  
 Enfant des années 1970, il se souvient d'un temps plus libre, plus cruel aussi, avec des parents absents et une société qui ne protégeait personne. Les blessures forgeaient alors le caractère. Aujourd'hui, dit-il, les « parents hélicoptères » surprotègent, la société surjoue la bienveillance et fabrique des générations hypersensibles, incapables d'encaisser la contradiction. 
  
  
 White alterne trois récits : souvenirs autobiographiques, essai sur la mutation du cinéma américain, et chronique acide d'une époque obsédée par la moralité publique. Sur le cinéma, Ellis oppose l'âge d'or des années 70 et 80, avec ses films violents, ambigus, adultes comme Taxi Driver ou Apocalypse Now, au règne actuel des franchises Marvel, moralisatrices et infantilisantes. Cette transformation du cinéma reflète celle de la société tout entière : le passage d'une culture du risque et de la complexité à une culture du confort et de la clarté morale. 
  
  
 Le fil rouge du livre tient en un mot : la peur. Peur de déplaire, de choquer, de sortir du consensus. Les acteurs, les artistes, les journalistes deviennent des produits calibrés pour ne heurter personne. L'humour noir, l'ambiguïté, le doute sont bannis. Dans cette économie de la réputation où tout se note, s'évalue et s'affiche, chacun se transforme en acteur de lui-même, perpétuellement en représentation. Ellis, lui, revendique le droit au désaccord, à la dissonance, au cynisme, bref, à la liberté. 
  
  
 Sa critique du politiquement correct a une lucidité étouffante. Le progressisme, devenu religion morale, produit ses propres dogmes et ses hérésies. Ne pas cocher les bonnes cases, c'est s'exposer à la mise au ban : raciste, misogyne, homophobe, le tribunal des réseaux sociaux tranche sans nuance. L'auteur, qui a longtemps refusé les étiquettes identitaires avant d'assumer tardivement son homosexualité, ironise sur cette réduction où l'on attend du « gay » qu'il pense, parle et vote dans le cadre approuvé du camp du Bien. L'humour, jadis arme de défense dans un monde cruel, devient aujourd'hui suspect. 
  
  
 Mais c'est avec l'élection de Donald Trump qu'Ellis touche au cœur de so
La Main coupée (1946)
Sortie : 1946 (France). Autobiographie & mémoires
livre de Blaise Cendrars
Gilead a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(30 octobre) 
 Toujours dans cette perspective de la Grande Guerre, je me suis lancé dans cet ouvrage sans rien connaître, ni de l’œuvre ni de son auteur. Je l’avais simplement vu figurer dans une liste des meilleurs livres sur la Première Guerre mondiale et je me suis dit : pourquoi ne pas essayer ? 
  
 Nous sommes face à un ovni autobiographique. Impossible de savoir si certaines situations sont réelles ou si c’est son talent de narrateur qui prend le dessus. Cendrars écrit près de trente ans après les faits, après une longue gestation et un projet avorté en 1918. Il a vécu la guerre directement pendant dix-huit mois, jusqu’à une blessure qui lui vaudra l’amputation du bras droit. On s’attendrait donc, de manière classique, à ce qu’il nous raconte comment cela est arrivé. Mais non : il choisit le contre-pied, le non-conformisme, et c’est sans doute ce qui m’a séduit après tant de lectures sur le sujet. 
  
 Le récit n’a pas de structure apparente. Il se déploie au gré d’anecdotes, de tranches de vie des poilus de la Légion étrangère (Ces hommes volontaires venus de partout, décidés à combattre pour la France, chacun avec ses raisons, certaines nobles, d’autres moins), un angle que je n’avais jamais rencontré ailleurs. Souvent, il commence par leur mort, pour ensuite les retrouver dans d’autres épisodes. Sous cette apparente décousure se dessine pourtant une architecture subtile : un récit qui balaie les grands thèmes de la guerre de manière exhaustive, plus complète que bien des ouvrages avant lui. 
  
 Le style est ciselé, nerveux, presque parlé. On sourit souvent devant la description de ses personnages passés au microscope. Il caricature la guerre, la ridiculise, la schématise par l’absurde : officiers, gendarmes de l’arrière, simples poilus, tout y passe. Le va-et-vient entre le front et l’arrière devient métaphore : ces soldats qui pointent à l’usine, gardant leurs réflexes d’une vie antérieure. 
  
 On sent la haine des chefs chez l’anarchiste qu’il est. Il ne respecte que ceux qui sont à la hauteur de leur tâche, déteste les lâches qui se planquent et fanfaronnent. Il ne cherche pas les récompenses, se porte volontaire parce qu’il a la bougeotte et refuse de se cacher. Une personnalité qui tranche, cette volonté de combattre en opposition avec les officiers, là où d’autres récits prêchent le pacifisme. 
  
 La blessure et l’amputation, loin d’être un sommet dramatique, deviennent un simple jalon. Pas de pathos : il transforme la mutilation en force narrative, comme si
Shantaram (2003)
Sortie : 11 décembre 2006 (France). Roman, Autobiographie & mémoires
livre de Gregory David Roberts
Gilead a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(27 octobre) 
 Shantaram est un voyage initiatique double : à la fois immersion dans un pays, l’Inde, et descente dans les méandres d’une conscience en quête de rédemption. À travers les ruelles grouillantes de Mumbai, ses bidonvilles, ses marchés, ses odeurs et ses contrastes, Gregory David Roberts signe un roman de la reconstruction, celui d’un homme brisé qui apprend à renaître ailleurs, dans un monde où tout semble à la fois plus cruel et plus vivant. 
  
  
 C’est un livre sur la fuite, mais aussi sur l’appartenance : la découverte d’une culture étrangère devient une manière de se retrouver soi-même. L’auteur nous invite à ne pas juger trop vite, à comprendre que derrière chaque acte, aussi brutal ou absurde qu’il paraisse, se cache une logique propre à un milieu, à une nécessité, à une histoire. Rien n’est jamais entièrement bon ou mauvais. L’amour, l’amitié, la loyauté, la culpabilité, tout s’y entremêle pour former un kaléidoscope de l’âme humaine, toujours en tension entre chute et rédemption. 
  
  
 Roman-fleuve à la fois haletant et méditatif, Shantaram alterne entre action, violence et contemplation. Sous ses airs de récit d’aventure se cache une réflexion philosophique sur le bien et le mal, sur la matière et la conscience, sur cette part d’ombre que chacun porte en lui et qu’il doit apprendre à apprivoiser. Exotique, foisonnant, parfois romanesque à l’excès, le livre garde pourtant une sincérité rare : celle d’un homme qui, à travers la fiction, continue de payer sa dette et de chercher un sens à sa liberté retrouvée.
Un rude hiver (1939)
Sortie : 1939 (France). Roman
livre de Raymond Queneau
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(25 octobre) 
 Ma première expérience avec Queneau, et toujours dans cette optique d’explorer la Première Guerre mondiale, même si Un rude hiver n’a rien à voir avec les grands récits de tranchées. On est ici dans un roman de l’arrière, plus proche du Sang noir de Guilloux, sans être tout à fait comparable. 
  
  
 Le récit paraît simple au premier abord : dans le Havre de l’hiver 1916, un homme aigri, blessé et hanté par la mort de sa femme et de sa mère dans un incendie, erre dans la rancune et le désespoir. Bernard Lehameau déteste tout, s’enferme dans son amertume, jusqu’à connaître une forme d’épiphanie : treize ans après le drame, il retrouve l’amour, guérit de sa jambe, et peut enfin “retourner à la guerre” autrement dit, reprendre vie. Mais derrière cette trame linéaire se cache un roman bien plus complexe, chargé de symboles et d’échos autobiographiques : l’incendie qui coïncide avec la date de naissance de Queneau, les opinions du père qui transparaissent, l’âge du héros (33 ans) au parfum christique, ou encore cette relation ambivalente avec Madeleine, la sœur de sa fiancée, qui semble assister à une véritable résurrection. On y croise aussi des réminiscences d’Hamlet, et sans doute bien d’autres références que j’ai laissées filer. 
  
  
 Le style est déroutant au départ : dialogues à l’anglaise rendus phonétiquement, répétitions à foison, tournures familières, mais tout cela contribue à créer un rythme, une musicalité propre à Queneau. On prend plaisir à suivre Bernard, cynique et mélancolique, déambulant dans les rues du Havre et reflétant l’atmosphère grise, poisseuse, d’un pays en attente. 
  
  
 Enfin, il faut rappeler que le roman paraît pendant la “drôle de guerre”, à l’hiver 1939, et ce contexte d’attente, de lassitude, d’impuissance face à la guerre, colore nécessairement le récit. On y lit déjà le désenchantement d’une époque qui se prépare à revivre le pire sans plus y croire. 
  
  
 En somme, Un rude hiver est un roman singulier : drôle, amer, inclassable. Sous des dehors simples, il cache une profondeur symbolique et une ironie douce-amère qui en font une œuvre à la fois déroutante et attachante.
Boule de suif (1899)
Sortie : 1899 (France). Recueil de nouvelles
livre de Guy de Maupassant
Gilead a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(23 octobre) 
 Dans Boule de Suif, Maupassant peint avec un cynisme mordant la société française pendant la guerre de 1870. Dans cette diligence se mêlent bourgeois, nobles, religieuses, un républicain velléitaire et la prostituée Boule de Suif, seule véritable patriote. À travers ce microcosme, l'auteur dévoile l'hypocrisie des classes dominantes : d'abord méprisée, Boule de Suif est manipulée pour céder à l'officier prussien, puis rejetée sitôt le sacrifice accompli. Elle incarne la générosité humiliée et trahie par ceux qu'elle a nourris. La Marseillaise sifflée par Cornudet à la fin sonne davantage comme une ironie amère qu'une véritable espérance : l'idéal républicain chante quand il aurait fallu agir.
Les Hommes contre (1938)
Un anno sull'Altipiano
Sortie : 1995 (France). Biographie, Récit
livre de Emilio Lussu
Gilead a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(22 octobre) 
 Les Hommes contre d’Emilio Lussu est un témoignage à vif, sans fard et sans volonté de plaire. L’écrivain n’est pas un romancier, c’est un soldat (capitaine à la fin malgrè tout) qui raconte ce qu’il a vu, simplement, sans effet de style, mais avec une lucidité implacable. Ce livre, inspiré de son expérience sur le front italo-autrichien, dissèque l’absurdité d’une guerre menée tranchée contre tranchée, où des milliers d’hommes meurent pour quelques mètres de terrain et quelques mots d’ordre insensés. 
  
  
 Dès les premières pages, Lussu dénonce le décalage entre le discours officiel et la réalité vécue : les maires exaltent la mort pour la patrie pendant que les soldats, eux, se saoulent pour oublier. L’alcool devient un personnage à part entière, carburant collectif de la survie et de la folie. Le narrateur, lieutenant sobre, fait figure d’exception, presque d’anomalie dans un monde où la gnôle sert d’anesthésiant moral. 
  
  
 Les officiers supérieurs, caricatures d’incompétence et d’arrogance, ordonnent des assauts suicidaires pour “l’honneur” ou pour une médaille. L’un d’eux, fou, se met à découvert devant l’ennemi pour “montrer l’exemple” et ordonne à un caporal d’en faire autant : le caporal meurt sur-le-champ. D’autres se tirent dessus entre compatriotes dans la nuit, incapables de distinguer leurs propres troupes. Ces scènes, d’un réalisme froid, traduisent la démence d’un commandement déconnecté du terrain, où le courage individuel devient un geste absurde, presque grotesque. 
  
  
 Entre deux attaques, Lussu capture les rares moments d’humanité : le répit d’une heure, la joie de fumer une cigarette, la fraternité silencieuse entre ennemis. En observant les Autrichiens, il comprend qu’ils ne sont pas des monstres, mais les reflets inversés de leurs adversaires, les mêmes hommes broyés par la même machine. La guerre n’a plus de sens ni de camp, seulement des victimes. 
  
  
 Le roman prend aussi une dimension politique inattendue. Certains officiers débattent de révolution, d’autres défendent l’ordre établi. Tous, pourtant, s’accordent sur un constat : les vrais ennemis ne sont pas en face, mais au-dessus, dans les bureaux où l’on décide de leur mort. Lorsque les soldats finissent par refuser de combattre, la mutinerie éclate — non pas contre la patrie, mais contre l’absurdité. 
  
  
 Lussu signe ainsi un texte à la fois littéraire et politique, rare équilibre entre émotion brute et réflexion lucide. Il y mêle la fatigue, le dégoût et une forme de dignité tr
Le mal français
Sortie : 1976 (France). Essai
livre de Alain Peyrefitte
Gilead a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(20 octobre) 
 Alain Peyrefitte livre avec Le Mal français un véritable miroir tendu à la nation. Publié en 1976, au cœur de la crise économique post-choc pétrolier, ce pavé de 500 pages ne propose ni programme politique concret ni récit de réformes, mais une analyse historique et anthropologique des blocages français, nourrie à la fois par l’histoire et par son expérience directe du pouvoir. Peyrefitte parle en connaisseur du système qu’il décrit : ancien ministre, acteur du gaullisme, il en a observé les rouages, les inerties et les illusions de l’intérieur. 
  
  
 Pour Peyrefitte, le mal français ne réside pas dans une conjoncture récente, mais dans une rupture historique profonde : la réforme, contre réforme ainsi que la centralisation monarchique inaugurée par Louis XIV, renforcée par Napoléon, prolongée par la République jacobine et consacrée par de Gaulle. Le résultat ? Un État omnipotent, une bureaucratie étouffante, des citoyens infantilisés et privés d’initiative. Là où les Anglo-Saxons et les Allemands valorisent l’autonomie locale et la responsabilité individuelle, la France cultive la hiérarchie, la règle administrative et la dépendance à l’État. 
  
  
 L’auteur dresse un portrait sévère du tempérament français : un peuple “mouton” plutôt qu’acteur, une élite intellectuelle brillante mais méprisante envers l’économie et l’industrie, préférant le prestige culturel, l’abstraction et le raffinement de l’esprit à l’efficacité productive ou commerciale. La France, dit-il en filigrane, préfère penser plutôt que produire : elle crée des idées, des œuvres, des institutions, mais peine à transformer cette richesse intellectuelle en puissance économique. Les grandes figures héroïques françaises finissent souvent en échec ou en exil, symbole d’un génie individuel sans relais collectif, d’un éclat sans continuité. 
  
  
 Il va chercher les racines de ce mal jusque dans l’héritage catholique et romain : une vision verticale du pouvoir, une méfiance envers l’individu, une tendance à tout régler par la loi plutôt que par la confiance. Il oppose cet “esprit latin” à la culture protestante et décentralisée des pays du Nord, qu’il idéalise parfois un peu vite. Peyrefitte admire le capitalisme rhénan et l’initiative protestante sans toujours en mesurer les limites ou les dérives ultérieures : financiarisation croissante, épuisement moral de la société du travail, inégalités territoriales liées à la décentralisation, et aveuglement écologique. Ce qu’il voyait comme une libération
Johnny s'en va-t-en guerre (1939)
Johnny Got His Gun
Sortie : 1971 (France). Roman
livre de Dalton Trumbo
Gilead a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(18 octobre) 
 Toujours dans la poursuite de l’exploration de la Première Guerre mondiale et de ses traumatismes, Johnny s’en va-t-en guerre est un inclassable. Ce n’est ni un récit de tranchée, ni une chronique de l’arrière comme tant d’autres, mais un pamphlet pacifiste d’une puissance rare. Contrairement à la plupart des auteurs du genre, Dalton Trumbo n’a pas fait la guerre. Publié en 1939, au moment du pacte germano-soviétique, le roman tombe mal : son message pacifiste choque, et après Pearl Harbor, il devient carrément dérangeant dans une Amérique mobilisée pour le combat. 
  
  
 Le style, raconté à la troisième personne, met à distance le corps et l’humanité du protagoniste, un soldat réduit à l’état de conscience enfermée dans une chair mutilée. Cette narration, proche du flux de conscience, donne l’impression que seul l’esprit subsiste, détaché d’un corps devenu prison. L’horreur de sa condition est totale : ni bras, ni jambes, ni visage, ni voix. Le roman alterne entre les souvenirs de sa jeunesse et sa lente prise de conscience de ce qu’il est devenu. Le passage du cauchemar est particulièrement éprouvant : privé de tous ses sens, il ne peut même plus fuir la douleur dans le sommeil. 
  
  
 Lorsqu’il parvient enfin à communiquer avec l’extérieur, en frappant l’oreiller de la tête en morse, une lueur d’espoir surgit. Mais cet instant d’humanité est vite renversé : Johnny demande à être exposé dans une cage de verre, comme preuve vivante de l’horreur de la guerre. Le refus qu’on lui oppose achève de le condamner au silence et à l’invisibilité. Trumbo en profite pour délivrer un message limpide et brutal : aimer la vie, se méfier des discours héroïques, des mots creux glorifiant la mort pour la patrie. 
  
  
 Roman activement censuré pendant la Seconde Guerre mondiale, on comprend aisément pourquoi : il ne pousse pas les hommes à mourir pour leur pays, mais à refuser qu’on les y condamne. Johnny s’en va-t-en guerre est une lecture difficile, presque physique, surtout si l’on est sensible. Mais c’est une lecture essentielle, une cicatrice littéraire qui ne s’efface pas.
Le Grand Troupeau (1931)
Sortie : 1931 (France). Roman
livre de Jean Giono
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(16 octobre) 
 Giono signe ici un roman étrange, à mi-chemin entre chronique rurale et récit de guerre, où la métaphore du troupeau irrigue chaque page. Les hommes partent au front comme des moutons qu’on mène à l’abattoir, et derrière eux, le village se vide, se désagrège. Joseph quitte Julia pour l’armée, Madeleine reste seule, enceinte d’Olivier, amant éphémère et petit-fils du Papé. Regotaz, ami d’Olivier, traîne son sac comme une chaîne volontaire, symbole d’un poids qu’on s’impose pour ne pas errer. 
  
  
 Ce qui frappe, c’est la manière dont Giono juxtapose l’arrière et le front : d’un côté, les femmes qui reprennent les tâches des hommes, qui s’épuisent, qui cherchent des substituts à l’absence (prisonniers, adolescents), la solitude qui ronge et déforme les pulsions ; de l’autre, les corps mutilés, les visages défigurés, les rats et les corbeaux qui festoient sur les cadavres. La guerre n’est pas héroïque, elle est sale, elle est animale. Même le bélier qui meurt rappelle le chef du troupeau, le père de famille sacrifié. 
  
  
 Le roman est traversé par des images puissantes : l’orage au loin qui devient bombardement, la chienne qu’on néglige comme on néglige les femmes laissées seules, la réquisition des bêtes qui achève de dépouiller les fermes. Et puis cette idée terrible : la nature a horreur du vide, les morts sont remplacés, leurs ombres effacées. Les femmes, elles, remplacent les hommes par d’autres corps, parce que la vie continue, même dans la boue. 
  
  
 Giono ne raconte pas la guerre, il raconte ce qu’elle fait aux vivants : la folie, le suicide, la chair qui se blanchit et s’empâte, la virilité qui s’effondre. Joseph revient aigri, mutilé, comme si la guerre avait rongé jusqu’à son humanité. Madeleine, elle, porte un enfant abîmé, jambes paralysées, fruit d’un amour volé et d’une tentative d’avortement ratée. Et pourtant, au bout du désastre, un signe : le retour du berger, figure presque divine, et la naissance d’un garçon sain. L’espoir après le carnage. 
  
  
 Le Grand Troupeau, c’est Le Sang noir sans la fièvre hallucinée, mais avec la même obsession : montrer que la guerre n’est pas une épopée, mais une mécanique absurde qui broie les corps et les âmes. Un texte sensoriel, cru, où la métaphore n’adoucit rien, elle souligne la brutalité. Giono nous dit que les hommes sont des bêtes, et que la guerre est leur abattoir.
L'Apprenti assassin (1995)
L'Assassin royal, tome 1
Assassin's Apprentice
Sortie : 17 septembre 1998 (France). Roman, Fantasy
livre de Robin Hobb (Megan Lindholm)
Gilead a mis 6/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(15 octobre) 
 Après la lecture des deux préludes, que j’ai trouvés assez médiocres et clairement destinés à des fans absolus de la série, je peux dire que j’ai été globalement satisfait de ma lecture du premier tome de L'Assassin Royal. 
  
  
 On est dans un roman de fantasy médiévale, avec une narration à la première personne, racontée par le personnage dans le futur. Ce choix a ses qualités, notamment pour la profondeur psychologique et le recul que permet la perception adulte, mais aussi ses défauts : on sait qu’il ne peut rien lui arriver de fatal, ce qui retire une part de tension dramatique. 
  
  
 Le récit s’inscrit dans les standards du genre, une quête initiatique avec ses hauts et ses bas, ses épreuves, ses apprentissages. Fitz semble être un élu, doté des deux magies que sont le Vif et l’Art, et le nom qu’on lui donne, modificateur ou changeur, en fait clairement un personnage pivot dans l’univers. 
  
  
 La lecture est agréable, le style est soigné pour le genre, on est loin de la littérature de gare. L’intrigue est relativement haletante, avec plusieurs rebondissements bien amenés. Cela dit, vu mon passif en lecture, je ne peux pas être subjugué comme quelqu’un qui découvre la lecture avec ce roman. Mais je le conseillerais sans hésiter à un adolescent en quête d’un roman motivant et accessible, qui donne envie de lire la suite.
Les Croix de bois (1919)
Sortie : 1919 (France). Roman
livre de Roland Dorgelès
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(12 octobre) 
 On poursuit l’exploration de la Première Guerre mondiale avec Les Croix de bois de Roland Dorgelès, un roman écrit par un engagé volontaire, publié en 1919 alors que la guerre vient tout juste de s’achever. Pour moi, c’est une œuvre à mi-chemin entre Le Feu de Barbusse et La Peur de Chevallier : du premier, on retrouve la vie des simples poilus, leur langage, leur quotidien, mais sans la syntaxe pesante et militante de Barbusse, ce qui rend la lecture bien plus agréable. Du second, on retrouve la critique de la guerre et de l’arrière, mais cette fois portée davantage par les personnages que par le narrateur lui-même. 
  
  
 Le contexte de publication mérite d’être rappelé : Les Croix de bois faillit obtenir le prix Goncourt 1919, battu d’une voix par Proust avec À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Cette anecdote illustre bien la tension entre deux visions de la littérature : celle du témoignage brut, immédiat, et celle de la littérature pure, tournée vers l’esthétique. Dorgelès, lui, était au plus près du vécu collectif, et c’est aussi ce qui explique le succès immédiat du livre, mais sa postérité moindre par rapport à Le Feu ou à Proust. 
  
  
 La narration est double, voire triple. Double d’abord, car elle alterne entre les dialogues des soldats, souvent pleins d’humour, de lassitude ou de fatalisme, et les commentaires sobres du narrateur, qui vient affiner la scène sans jamais l’alourdir. S’y ajoute la voix du jeune Gilbert, bourgeois engagé volontaire, qui joue le rôle de témoin initiatique : c’est par lui que le lecteur entre dans cet univers, découvre ses codes, ses peurs, ses illusions. Lors de sa mort, Dorgelès prend le temps de nous faire partager sa douleur, rare moment d’émotion directe dans le roman, presque fusionnel avec le narrateur. 
  
  
 À travers les échanges entre poilus, le livre parvient à créer un véritable attachement : chacun incarne un archétype, le râleur, le poltron, le rêveur, le romantique. C’est tout l’inverse de L’Orage d’acier où les hommes semblaient réduits à des fonctions ou des statistiques. Ici, les pertes se ressentent, la mort laisse une empreinte. Il n’y a pas de dates précises ni de repères géographiques clairs : la guerre est partout, indistincte, comme un climat. 
  
  
 Les passages obligés de la guerre, les tranchées, la boue, l’attente, les obus, sont bien présents, mais Dorgelès se distingue par les moments à l’arrière ou dans les hôpitaux. Il y décrit avec justesse le décalage entre les blessés et la société civ
Le Prince bâtard (2013)
Prélude à La Citadelle des ombres
The Willful Princess and the Piebald Prince
Sortie : 6 novembre 2013 (France). Roman
livre de Robin Hobb (Megan Lindholm)
Gilead a mis 5/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(9 octobre) 
 Je poursuis ma découverte des récits préliminaires à L’Assassin Royal, avant d’entamer le cycle principal. Après Retour au pays, je découvre Le Prince bâtard, sans avoir lu les autres tomes. 
  
  
 La narration change de format : on quitte le journal intime pour une mémoire manuscrite, toujours à la première personne, rédigée par une servante âgée qui cherche à rétablir la vérité derrière les légendes officielles. Le ton se veut confidentiel, presque historique, mais reste assez simple dans sa construction. 
  
  
 Le récit suit une nourrice, témoin des choix de la princesse qu’elle élève, notamment sa liaison avec un roturier éleveur de chevaux, la naissance d’un enfant illégitime, et les conséquences politiques qui en découlent. L’intrigue est convenue, et la révélation finale se voit venir de loin rien de très surprenant ou marquant. 
  
  
 Sur le plan de l’univers, on découvre le Vif, un pouvoir permettant de communiquer avec les animaux, qui semble héréditaire, tout comme l’Art, entrevu dans Retour au pays, qui agit plutôt sur les humains. Ces deux pouvoirs semblent liés à des lignées spécifiques, ce qui pose les bases de tensions sociales que j’imagine plus développées dans la suite. 
  
  
 Malgré son côté prévisible, le récit reste divertissant, sans prétention. Ce n’est pas un texte marquant, ni par son style ni par sa profondeur, mais il offre une petite fenêtre sur l’univers. J’espère que le reste du cycle sera plus dense, moins linéaire, et narrativement plus ambitieux.
Aurais-je été résistant ou bourreau ? (2013)
Sortie : janvier 2013. Essai
livre de Pierre Bayard
Gilead a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(8 octobre) 
 Pierre Bayard s’attaque à une question impossible, presque provocante : que serait-il devenu pendant la Seconde Guerre mondiale ? Bourreau ? Résistant ? Rien du tout ? Il sait que l’exercice est fictionnel, limité, mais il le mène avec sérieux, en interrogeant les mécanismes psychologiques et sociaux qui façonnent nos comportements en temps de crise. 
  
  
 Ce qui ressort, c’est que la personnalité profonde ne se révèle vraiment que dans l’adversité, et que beaucoup d’entre nous ne sauront jamais qui ils sont vraiment, faute d’avoir été confrontés à une situation extrême. L’auteur insiste sur le fait que devenir bourreau est plus courant que devenir résistant. C’est la pente naturelle, celle qui se dessine quand les barrières tombent, quand l’autorité couvre nos actes, quand le groupe nous absorbe. 
  
  
 Bayard convoque Milgram, bien sûr, et cette idée glaçante : on appuie sur le bouton tant que l’autre accepte, et on rejette la faute sur l’autorité. L’humain, s’il est encadré, couvert, encouragé, peut faire le pire sans se sentir responsable. Le conformisme de groupe et la soumission à l’autorité sont les deux piliers du basculement. 
  
  
 Mais il y a des contrepoids. L’image de soi, la honte, le regard des autres, la peur de ne pas être fidèle à ses valeurs. Il faut parfois se mentir à soi-même pour agir, sortir du cadre confortable, du moule social, et inventer une action originale. Et ça coûte. Agir coûte plus que ne rien faire. 
  
  
 La résistance, dans ce livre, prend deux formes : celle du héros combattant, et celle du sauveteur discret, qui cache, protège, agit sans violence. Les deux demandent une force d’âme, une ossature morale, souvent héritée du modèle familial, parfois nourrie par une foi, ou par un lien avec un autre qui agit et nous entraîne. 
  
  
 Bayard montre que l’empathie ne suffit pas. Il faut aussi une capacité à penser en dehors des cadres, à se détacher du groupe, à accepter la solitude morale. Et même là, rien n’est garanti. Il y a une part de mystère dans le fait de devenir résistant, une dimension presque mystique, tant cela va à rebours de l’intérêt personnel. 
  
  
 Ce livre ne donne pas de réponse, mais il pose les bonnes questions. Il nous confronte à notre propre passivité, à notre confort, à notre image. Il nous rappelle que l’autre moi, celui qui agit ou qui se tait, ne se révèle que dans la crise. Et que la majorité reste entre les deux, dans une forme d’apathie velléitaire. 
  
  
 Une lecture stimulante, dérangeante, mais salutaire. Bayar
Retour au pays (2003)
Prélude à L'Assassin royal et aux Aventuriers de la mer
Homecoming
Sortie : 1 juin 2007 (France). Roman
livre de Robin Hobb (Megan Lindholm)
Gilead a mis 4/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(7 octobre) 
 Première exploration de l’autrice Robin Hobb, avant de commencer le cycle de l’Assassin Royal, puisque ce livre sert de prélude à cet univers. Je pars donc sans a priori ni attente particulière. 
  
  
 On est plongé dans une sorte de journal tenu par une noble déchue, exilée avec toute sa famille à cause d’un complot impliquant son mari. Ce n’est pas lui qui cherche à se débarrasser d’elle, mais ses actes ont des conséquences qui les emportent tous. Le récit suit leur voyage en bateau, leur arrivée sur une île isolée, la survie dans un environnement hostile et l’exploration d’une cité en ruine enfouie. 
  
  
 L’écriture est correcte pour le genre, sans atteindre le style d’un Jaworski. L’histoire reste assez classique et peu palpitante. Il se passe des choses dramatiques, comme la perte de deux enfants, mais la narration ne transmet pas vraiment la détresse que cela devrait provoquer. 
  
  
 Le faible intérêt du récit réside dans l’évolution du personnage principal. Elle passe d’un caractère hautain à une femme qui trouve enfin sa place dans le monde. Sur l’île, elle devient autonome, n’est plus un simple objet de représentation, et commence à vivre pour elle-même. 
  
  
 Un petit livre qui se lit sans peine, mais j’espère que le cycle principal sera plus dense, plus surprenant et moins convenu.
Dracula (1897)
(traduction Lucienne Molitor)
Sortie : 1963 (France). Roman, Fantastique
livre de Bram Stoker
Gilead a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(6 octobre) 
 On ne s’attaque pas à ce genre de livre sans une certaine appréhension. C’est étonnant d’avoir attendu aussi longtemps pour commencer un des romans fondateurs du genre, aux côtés de Frankenstein et Docteur Jekyll and Mister Hyde. J’avais adoré Frankenstein, un peu moins Jekyll. L’appréhension est double : est-ce que le roman sera à la hauteur de sa réputation ? Et est-ce que ma lecture peut encore apporter quelque chose à un texte aussi disséqué depuis sa parution ? 
  
  
 Le roman épistolaire, construit à partir de lettres et de journaux, nous plonge dans une ambiance feutrée, presque intime. Même si cette forme donne l’illusion d’un récit fragmenté, il n’y a en réalité aucun trou : tout est dit, tout est suivi, parfois trop. Le journal aurait pu laisser des zones d’ombre entre deux dates, mais ici, la narration reste linéaire et exhaustive. 
  
  
 La critique sociale est bien là. Stoker parle de sexualité refoulée, de xénophobie, de la peur de la science à une époque de progrès rapide, où l’on oublie les superstitions qui pourtant ne viennent pas de nulle part. Pour Stoker, il est essentiel de lier science et tradition. Il évoque aussi la femme qui prend la parole et s’émancipe doucement, et la mort comme transformation. Le vampire devient le miroir des angoisses victoriennes. 
  
  
 Malgré tout, le roman reste accessible comme simple récit d’aventure horrifique. L’intrigue prend son temps, mais il fallait bien poser les bases du mythe : ses faiblesses, ses règles, ses métamorphoses. 
  
  
 Côté personnages, c’est paradoxal. Les hommes se ressemblent tous, des gentilshommes victoriens pleins de bonnes intentions. Seuls Van Helsing, figure de l’homme moderne qui fusionne savoir ancien et science, et le fou influencé par Dracula, sortent du lot. Ce sont les plus intéressants. Les personnages féminins, eux, ont une place plus réduite et souvent rétrograde, même si Mina tente de s’en affranchir. 
  
  
 Alors, lire Dracula aujourd’hui, est-ce encore pertinent ? Oui, si l’on veut comprendre l’origine du mythe, les peurs de la société victorienne, et le style littéraire de l’époque. Le texte est propre, pas daté, mais le rythme est lent. Une lecture dense, parfois laborieuse, mais riche en symboles. J’en ressors avec une impression mitigée mais curieuse. Ce n’est pas aussi marquant que Frankenstein, mais c’est plus complexe que Jekyll. Une bonne lecture.
Orages d'acier (1920)
In Stahlgewittern
Sortie : 1930 (France). Roman
livre de Ernst Jünger
Gilead a mis 6/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(5 octobre) 
 On poursuit le voyage dans la Première Guerre mondiale, mais cette fois en passant de l’autre côté, chez les puissances centrales. Encore une fois, il s’agit d’un témoignage de première main, écrit par quelqu’un qui l’a vécu : Ernst Jünger, engagé volontaire à 19 ans. J’ai lu la version de 1960, remaniée par l’auteur et traduite par Henri Plard, qui n’est pas la version définitive de 1978. 
  
  
 Un peu comme dans Ceux de 14, on suit un lieutenant, mais ici le récit embrasse la guerre dans son ensemble, du début à la fin du conflit. C’est une sorte d’hybridation entre Ceux de 14 et La Peur : le réalisme du front y rencontre une forme d’épopée personnelle. Jünger découpe la guerre en trois temps : d’abord la phase de bataille classique, puis la guerre de position dans les tranchées, ensuite la guerre de matériel (1916), titanesque par son intensité, avant l’arrivée des blindés en 1917. 
  
  
 Ce qui m’a particulièrement intéressé, c’est la vision du côté allemand. Voir les mêmes batailles, mais depuis l’autre camp, permet de mesurer à quel point les expériences se répondent : même boue, mêmes obus, même absurdité. Sur la fin, on perçoit la disette, le manque de ravitaillement, et la manière dont la grippe espagnole frappe plus durement une Allemagne économiquement isolée. 
  
  
 Le style, en revanche, m’a laissé partagé. Je ne sais pas si cela vient de la traduction ou de l’écriture de Jünger elle-même, mais j’ai trouvé le ton froid, clinique, presque détaché. Les morts sont annoncés sans émotion : un nom, un fait, un point. Et pourtant, ce ton cohabite avec une forme d’exaltation virile de la guerre, un héroïsme martial que je n’avais encore jamais rencontré dans les récits de 14-18. Là où d’autres témoignages sont empreints de pacifisme ou de désillusion, Jünger célèbre le courage, la discipline et la beauté du combat. 
  
  
 Cette phrase illustre bien ce lyrisme guerrier : 
  
 « Le courage, la vie jetée en enjeu communiquent toujours l’enthousiasme. Nous aussi, nous fûmes saisis d’une folle hardiesse et, ramassant quelques grenades, nous rivalisâmes d’ardeur à donner, comme lui, une démonstration de furor teutonicus. » 
  
  
 L’horreur de la guerre, chez lui, n’est pas niée, mais constamment sublimée par une volonté de dépassement, un idéal d’officier. Ce n’est pas pour rien qu’il reçut une médaille prestigieuse malgré son jeune âge. Comme chez Dorgelès, on retrouve la même lucidité sur la mort, mais sans la même empathie : ici, l’homme se définit par son sang-froid, no
Un avenir radieux (2025)
Sortie : 21 janvier 2025. Roman
livre de Pierre Lemaitre
Gilead a mis 6/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(3 octobre) 
 Avenir radieux, dernier tome de la trilogie Les Années glorieuses… enfin, dernier pour l’instant, puisque Pierre Lemaître a déjà annoncé un quatrième volume, prévu sans doute pour fin 2026 ou début 2027. 
  
  
 Que dire sur ce troisième volet ? Nous sommes projetés en 1959, soit sept ans après Le silence et la colère. On reprend les mêmes, mais cette fois c’est la jeune génération qui pousse sur le devant de la scène. Et, comme toujours, l’arrivée d’une génération signifie l’effacement progressif de l’autre, idée qui traverse d’ailleurs tout le livre et que Lemaître ne cesse de souligner. 
  
  
 On retrouve un peu d’exotisme, comme dans Le Grand Monde, mais un exotisme moins flamboyant que l’Indochine : ici, ce sera la Tchécoslovaquie, derrière le rideau de fer. L’auteur continue de brosser son vaste tableau des mutations sociétales de l’époque : les débuts de la télévision et sa censure, les premières radios libres qui donnent une voix nouvelle aux citoyens, la place de la femme dans le travail (Hélène à la radio malgré sa grossesse), ou dans la famille avec l’inversion des rôles dans le couple de François. À cela s’ajoutent la peur grandissante du nucléaire, encore mal connue à l’époque, et les tensions de la guerre froide, rappelons que le mur de Berlin ne sera érigé qu’en 1961. 
  
  
 Mais la tonalité du roman s’assombrit toujours davantage. Je n’ai pas retrouvé l’humour noir, grinçant, qui faisait la force du premier tome. Comme dans Le silence et la colère, on reste dans le registre tragique : après la tentative d’infanticide de la mère dans le volume précédent, c’est le viol de Colette qui marque ce tome-ci. On sent clairement une volonté de Lemaître : chaque étape de la trilogie s’enfonce un peu plus dans la noirceur, jusqu’à la conclusion qui ne laisse guère espérer autre chose que le pire. La mort du grand-père, elle, sonne juste : fin d’une époque, disparition d’une génération, et donc presque une fatalité. La partie espionnage, en revanche, peine à convaincre : la fuite de François paraît peu crédible malgré son passif militaire, et la séquence de torture n’a d’autre fonction que d’appuyer sur le dramatique. 
  
  
 Il reste néanmoins ce couple infernal, Bouboule et Geneviève, pour maintenir une dose de folie, quelque part entre attachement et répulsion. Geneviève se découvre une nouvelle tocade pour l’astrologie, qui va assez loin et accentue son côté fantasque, presque délirant. À cela s’ajoute une incompréhension totale avec son fils : elle qui l’ava
Propos sur le bonheur (1925)
Sortie : 1925 (France). Essai, Philosophie
livre de Alain
Gilead a mis 10/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(1 octobre) 
 Le livre d’Alain est une compilation de courts articles publiés entre 1900 et 1924, chacun faisant deux à trois pages. Ça se lit très bien : la langue est fluide, accessible, sans jargon. On sent qu’Alain veut parler à tout le monde, pas seulement aux philosophes. 
  
  
 Dès les premières pages, j’ai eu l’impression de lire une sorte de stoïcisme moderne, une philosophie du quotidien, presque pratico-pratique, sur comment atteindre le bonheur. Mais attention : pour Alain, le bonheur n’est pas un état facile ni naturel. Il demande effort, volonté, discipline. 
  
  
 Parmi les idées qui m’ont marqué : 
  
  
 -L’homme a besoin de garde-fous. Sans règles, sans cadre, on glisse facilement vers le malheur, vers l’apitoiement. Mais ces règles doivent être choisies librement, fixées par soi-même. Ce n’est pas une soumission, c’est une forme de maîtrise. 
  
  
 -Ne pas attendre que les choses arrivent. Le bonheur ne vient pas de l’extérieur. Il faut être actif, moteur de sa propre vie. C’est une philosophie de l’action, pas de la plainte. 
  
  
 -La politesse comme forme de respect. Même (et surtout) avec ceux qu’on aime. Dire les choses sans filtre, sous prétexte de sincérité, peut blesser inutilement. Mettre les formes, c’est préserver les liens. Alain voit dans la politesse une discipline du cœur, pas une hypocrisie. 
  
  
 -Occuper son esprit pour ne pas se replier sur soi. Mais pas avec des distractions faciles. Il faut des activités qui demandent un effort, un engagement, une peine. C’est dans cette peine que naît la satisfaction. Construire une maison de ses mains, par exemple, vaut mieux qu’un passe-temps sans consistance. 
  
  
 -Comme les stoïciens, Alain n’oublie pas l’importance du contrôle de la pensée. Pour lui, le corps et l’esprit sont liés, et c’est justement par la pensée qu’on peut agir sur soi. Penser à faire semblant de dormir en cas d’insomnie, par exemple, est plus utile que de s’énerver et de tourner ses pensées en boucle. 
  
  
 Ce livre m’a permis de mettre des mots sur des intuitions, des idées que j’avais en tête mais que je n’avais jamais vraiment structurées. C’est une sorte de manuel d’hygiène mentale, une philosophie du quotidien qui aide à atteindre un état d’insouciance lucide, pas naïve.
Les Choses (1965)
Une histoire des années soixante
Sortie : 1965 (France). Roman
livre de Georges Perec
Gilead a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(29 septembre) 
 Pas évident de rentrer dans ce livre. Le premier chapitre est une longue description, sans préambule, d’un appartement fantasmé. Et franchement, ça m’a inquiété pour la suite. J’avais du mal à visualiser : l’agencement des objets, les couleurs, les pièces… tout semblait flou. Mais j’avais tort. La suite, bien que centrée sur les objets et les biens, prend une autre tournure. Chaque passage est différent, et je dirais à ceux que cette introduction rebute : persévérez. 
  
  
 On n’est pas dans un roman traditionnel. Pas d’histoire, pas de scénario. Les personnages sont là, mais presque comme des prétextes. Ce que Perec vise, c’est un portrait au vitriol d’une certaine classe sociale : la petite bourgeoisie, celle qui entre dans l’âge adulte pendant les Trente Glorieuses, avec l’envie de s’émanciper des générations précédentes. 
  
  
 Ils vivent les prémices de la société de consommation à grande échelle, et ils sont incapables de résister à ses sirènes. Ils croient aux promesses de bonheur par l’objet, alors qu’ils travaillent eux-mêmes dans le marketing. C’est l’ironie parfaite : vendre ce qui les enferme. 
  
  
 Ils baignent dans cette ingratitude moderne, celle qui fait croire que ce qui nous manque nous rendra heureux. Ils sacralisent l’éphémère, l’apparence, les biens de consommation. Incapables de se projeter, de penser long terme, d’agir vraiment. 
  
  
 Et quand enfin ils agissent, quand ils partent en Tunisie pour briser le cercle, c’est la nostalgie qui les rattrape. On est ici, on aimerait être ailleurs. Éternellement insatisfaits. 
  
 Ils veulent obtenir sans s’engager, mais finissent par s’engager, résignés, pour obtenir ce qu’ils croient vouloir. Et même là, ce n’est pas suffisant. Il y a toujours mieux. 
  
  
 Pendant ma lecture, je lisais en parallèle Propos sur le bonheur d’Alain. Et en passant de l’un à l’autre, je me suis dit que Les Choses était le guide de l’anti-bonheur. Tout ce qu’Alain déconseillerait pour atteindre la paix intérieure, Perec le met en scène avec une précision chirurgicale. 
  
  
 C’est une radiographie du désir moderne, et ce qui est frappant, c’est que ce désir est toujours là, aujourd’hui. Il a changé de forme, de médium, mais le fond est intact. Nous n’avons plus l’excuse d’être les premiers. Nous avons le recul, les outils, les mises en garde. Et pourtant, on continue.
La Guerre des mondes (1900)
War of the Worlds
Sortie : 1900 (France). Roman, Science-fiction
livre de H.G. Wells
Gilead a mis 6/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(27 septembre) 
 Après avoir lu La Machine à explorer le temps du même auteur, que j’avais apprécié, je me suis laissé tenter par La Guerre des mondes. N’ayant pas trop aimé l’adaptation de Spielberg à l’époque, c’était l’occasion de revenir au matériau source et d’espérer trouver quelque chose de plus qualitatif. 
  
 On se retrouve donc dans l’Angleterre du début du XXᵉ siècle, face à une invasion martienne. Wells adopte un ton très analytique et presque scientifique pour rendre cette hypothèse crédible. Le démarrage, entre euphorie de l’arrivée et chaos immédiat, m’a semblé assez daté. Le rythme est étrange et le fameux passage du frère paraît artificiel : il permet de multiplier les points de vue depuis Londres, mais comme il est raconté par le narrateur principal, il casse tout suspense puisque l’on sait dès le départ que ce dernier survivra quoi qu’il arrive. 
  
 Il reste heureusement les allégories, qui donnent au livre sa profondeur. L’invasion martienne fait miroir à notre propre domination sur les animaux, nous obligeant à prendre conscience de l’écart de force et d’intelligence entre deux espèces. La description de la physiologie des Martiens est perturbante, presque visionnaire : des êtres réduits à une tête, sans besoin de dormir ni de se nourrir, qui incarnent une possible évolution de l’humanité. Wells pose aussi une réflexion sur deux types d’hommes, celui qui se résigne et s’adapte sans combattre, et celui qui reste libre, sauvage, prêt à tout pour survivre. Enfin, il évoque la menace d’un retour des Martiens, une insécurité permanente qui empêche l’homme de se reposer sur ses acquis, ce qui est vu comme un bien pour un mal, car cela pousse vers un progrès permanent, une doctrine du machinisme cohérente avec son époque mais encore présente aujourd’hui. 
  
 En bref, un roman sûrement novateur pour son époque, bien écrit, mais qui semble daté aujourd’hui et se lit davantage comme un document fondateur pour comprendre les débuts de la science-fiction que comme un indispensable du genre, permettant de capter deux ou trois idées marquantes mais guère plus.
Ceux de 14
Sortie : 1949 (France). Roman
livre de Maurice Genevoix
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(27 septembre) 
 Après Le Feu et La Peur, voici le troisième roman que je lis sur la Grande Guerre. Ceux de 14, dans sa version de 1949, est une réécriture plus concise réalisée par Genevoix à partir de ses cinq cahiers déjà publiés. Encore une fois, il s’agit d’un témoignage authentique, celui d’un homme qui a réellement vécu la guerre, et non d’un fantasme ou d’une reconstitution à posteriori. Ce livre est d’ailleurs considéré par Jean Norton Cru, spécialiste du réalisme dans la littérature de guerre, comme l’un des plus fidèles à la réalité du front. 
  
  
 Ici, on ne suit pas un simple poilu ou un agent de liaison, mais un officier. Un officier, certes, mais présent sur le terrain, pas planqué à l’arrière. Ce n’est pas une critique de la guerre ou des institutions, mais une plongée sensorielle dans ce que cela signifie de vivre la guerre dans sa chair. Une immersion brute, sans filtre, dans le quotidien d’un soldat. 
  
  
 Le début est intense : on n’est pas encore dans la guerre de tranchées, et les combats sont meurtriers. Puis viennent les tranchées, l’installation, l’ennui, cette guerre de position où l’on alterne entre le front et l’arrière comme dans un manège sans fin. Les obus et les balles tuent par accident, et cette routine compose la majeure partie du livre. Le dernier cahier, en contraste brutal, nous plonge dans l’attaque : la violence, la boucherie, les corps ensevelis, déchiquetés, les balles qui fauchent. Le temps s’étire, et par cet effet, Genevoix nous fait ressentir l’absurdité de la guerre. On devient résigné, on perd son humanité pour pouvoir continuer à se battre. 
  
  
 Ce n’est que vers la fin, et très brièvement sur une dizaine de pages, qu’apparaît une forme de rancœur envers les armées de l’arrière, les gendarmes qui surveillent les soldats pour éviter l’ivresse. Mais cette critique est aussitôt nuancée, comme si elle relevait plus d’une fragilité passagère que d’un véritable ressentiment. En tant qu’officier, Genevoix doit rester fort, montrer l’exemple. On comprend que ce n’est pas le propos du livre : il veut raconter le vécu des soldats, au plus près, sans digressions. 
  
  
 Au final, Ceux de 14 est un très bon roman de guerre, mais à mon sens en dessous de La Peur. Il ne couvre que la période jusqu’en 1915, sans évoquer la vie à l’arrière, les hôpitaux, etc. C’est donc une œuvre moins globale pour ceux qui cherchent une vision exhaustive du conflit. Une immersion réaliste, oui, mais qui manque d’envergure. Cela dit, le style est remarquable
Le Petit fût (1884)
Sortie : 7 avril 1884. Recueil de nouvelles
livre de Guy de Maupassant
Gilead a mis 7/10.
Annotation :
(25 septembre) 
 Dans la vie, rien n’est jamais gratuit : il y a toujours un prix à payer.
Le Silence et la Colère (2023)
Sortie : 10 janvier 2023. Roman
livre de Pierre Lemaitre
Gilead a mis 6/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(25 septembre) 
 Dans ce deuxième tome de la saga La famille Pelletier, Le silence et la colère, Pierre Lemaître nous transporte en 1952, soit quatre ans après les événements du premier volet. À noter que chaque tome peut se lire indépendamment : l’auteur glisse de nombreux rappels permettant de recoller aisément les morceaux. 
  
 On entre dans ce roman comme dans de vieilles charentaises, avec facilité et confort. Les personnages restent fidèles à eux-mêmes, ce qui rassure, mais peut-être un peu trop… On perd une partie de l’effet de surprise, tout paraît presque trop familier. 
  
 Les thématiques abordées sont en revanche pertinentes et viennent gratter le vernis idéalisé des « Trente Glorieuses ». Lemaître évoque par exemple la vétusté des logements d’époque (toilettes sur le palier, absence d’eau chaude), à travers l’article provocateur « Les femmes sont-elles sales ? » inspiré de Françoise Giroud. Il met aussi en scène la montée en puissance de la presse, désormais capable d’imposer ses sujets comme l’affaire du barrage ou l’ouverture du magasin Dixie, qui évoque possiblement la création de Tati en 1952. Le roman aborde également la question brûlante de l’avortement. On oublie trop souvent que ce droit n’a qu’une cinquantaine d’années (loi Veil), et l’actualité américaine récente rappelle à quel point cet acquis reste fragile. Ici, Lemaître nous plonge dans la réalité crue des conditions de l’époque. 
  
 Mais au-delà de ces aspects sociétaux riches et bien documentés, j’ai trouvé la narration moins percutante que dans le premier tome. L’ambiance demeure sombre, mais on perd une part de légèreté et d’humour, ingrédients qui faisaient la force du volume précédent. Certes, il reste quelques respirations comme les passages sur les combats de boxe de Lucien, mais l’ensemble est plus grave et plus linéaire. L’absence de l’Indochine se fait sentir, et l’exotisme qui contribuait au charme initial laisse un vide. 
  
 Le roman se lit toujours avec plaisir, mais il reste, à mes yeux, en deçà du premier tome. Espérons que, pour conclure la trilogie, Pierre Lemaître redonne à son récit une dose d’humour digne du premier volume.
Féodalités (888-1180)
Sortie : 23 mars 2010 (France). Culture & société, Histoire
livre de Florian Mazel
Gilead a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(24 septembre) 
 Ce second volume prolonge l’effort de déconstruction des clichés historiques entamé dans le premier tome. Il explore la lente structuration du monde féodal, marqué par une fragmentation du pouvoir royal au profit des principautés, et une montée en puissance de l’Église, désormais omniprésente dans les sphères spirituelles, sociales et politiques. 
  
  
 L’ouvrage met en lumière les tensions entre clercs et laïcs, moines et évêques, princes et rois, dans un jeu d’équilibres mouvants où la guerre devient un outil de légitimation, et la réforme grégorienne un levier de centralisation religieuse. L’émergence des valeurs chevaleresques, la codification des conflits, et la construction de châteaux participent à une culture aristocratique en quête de prestige et de contrôle, à mettre en parallèle avec les nombreuses rénovations et constructions d’églises dans la même période. 
  
  
 La société se complexifie : les trois ordres s’affirment, les villes amorcent leur renaissance, les métiers se structurent, et les savoirs circulent grâce aux écoles et aux écrits latins. L’Église, en quête d’un monopole du sacré, impose ses normes, notamment sur le mariage, la morale et l’hérésie, tout en renforçant son emprise territoriale et idéologique. Le tout est également marqué par une croissance de la population, portée par les progrès des techniques agricoles et une amélioration du climat. 
  
  
 Cependant, j’ai trouvé la lecture moins fluide que d’habitude. Le texte, par moments, s’apparente à une liste d’événements, de dates et de noms de lieux, ce qui nuit à la clarté du propos et à la dynamique narrative. Cela peut rendre l’immersion plus difficile, surtout pour les lecteurs non spécialistes. 
  
  
 Malgré cela, le volume reste fidèle à l’esprit de la collection Belin : rigoureux, documenté, et soucieux de dépasser les lectures idéologiques et d’actualiser avec les dernières recherches. Il rappelle que l’histoire féodale est un processus lent, fait de compromis, de ruptures partielles, et de reconfigurations constantes, loin des visions simplistes d’un Moyen Âge figé ou brutal.
L'Heure des prédateurs
Sortie : 3 avril 2025 (France).
livre de Giuliano da Empoli
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(19 septembre) 
 Après avoir lu Le Mage du Kremlin du même auteur, que j’avais relativement apprécié, je me suis lancé dans L’Heure des prédateurs sans a priori négatif, et sans vraiment connaître le personnage en dehors de ce premier contact. 
  
  
 Ce nouvel opus, plus court, s’attache à montrer l’évolution récente des élites et du pouvoir : le basculement d’une autorité modérée et rationnelle vers une forme de pouvoir débridé, sans garde-fou, qu’Empoli qualifie de « borgien » en référence au Prince de Machiavel. On retrouve ainsi des figures comme Trump, Bukele au Salvador, mais aussi la montée en puissance des géants de la tech, Zuckerberg ou Musk, qui n’agissent plus masqués mais à visage découvert. À cela s’ajoute l’essor de l’intelligence artificielle, désormais au cœur des rapports de force. 
  
  
 Pour étayer son propos, l’auteur aligne une série d’anecdotes, parfois personnelles, globalement intéressantes. J’ai particulièrement apprécié l’allégorie de l’IA avec le Château de Kafka. Mais au final, on reste face à un discours de constat : critique, alarmiste, bien écrit, mais qui n’offre aucune perspective ni solution. 
  
  
 En somme, L’Heure des prédateurs n’est pas un essai indispensable ni réellement révélateur. Le diagnostic posé est évident aujourd’hui, même s’il a le mérite d’être éclairé par des exemples concrets.
Le Grand Monde (2022)
Sortie : 25 janvier 2022. Roman
livre de Pierre Lemaitre
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(16 septembre) 
 Je me suis laissé tenter par cette nouvelle saga de Pierre Lemaitre, qui selon ses propres mots, s’inscrit davantage dans la continuité de sa précédente trilogie que comme une véritable nouveauté. À l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai lu de lui que Au revoir là-haut, dont je garde un excellent souvenir. Peut-être un peu trop bon d’ailleurs, je l’ai sans doute surnoté à l’époque, mais ce n’est pas le sujet. 
  
 Pour faire écho à son premier grand succès, Lemaitre démarre Le Grand Monde juste après la Seconde Guerre mondiale, dans une période souvent méconnue du grand public : les années 1948, marquées par la guerre d’Indochine et une reprise économique française encore bien fragile. On plonge ici dans un roman d’aventure familiale, centré sur les enfants de la famille Pelletier, trois frères et une sœur, chacun avec sa personnalité bien trempée, ses contradictions, ses ambitions. Ce choix narratif permet de varier les points de vue, les lieux, les situations, et de donner du rythme à l’ensemble. 
  
 On est clairement dans un drame haletant, qui n’hésite pas à explorer les zones d’ombre de l’époque : les magouilles indochinoises, la dureté du quotidien après-guerre, les grèves, les tickets de rationnement, les profiteurs, la presse, la justice… Tout cela est traité avec un humour noir savoureux, parfois grinçant, qui donne au récit une tonalité cynique mais jamais désespérée. Le couple Bouboule Geneviève, par exemple, est à la fois hilarant et dérangeant, un vrai régal de mordant et d’incongruité. On se surprend souvent à sourire, voire à rire, devant certaines répliques ou scènes absurdes, mais toujours bien senties. 
  
 Ce n’est pas un chef-d’œuvre, ni un classique de la littérature, et ce n’est pas grave. C’est un divertissement solide, bien écrit, bien construit, qui vous fera passer un très bon moment. Et franchement, c’est déjà pas mal.
La Parure (1884)
Sortie : 1884 (France). Nouvelle
livre de Guy de Maupassant
Gilead a mis 8/10.
Annotation :
(15 septembre) 
 Une histoire qui nous enseigne combien l’absence de gratitude et le refus d’accepter sa condition, ajoutés à une maladresse de communication, peuvent mener au désastre. Vanité et orgueil de l’apparence.
Leurs figures (1902)
Le Roman de l'énergie nationale, tome 3
Sortie : 1902 (France). Roman
livre de Maurice Barrès
Gilead a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(14 septembre) 
 Ce dernier volume s’inscrit dans la continuité directe du précédent, qui s’achevait sur la fin du boulangisme. Ici, Barrès nous plonge au cœur du scandale de Panama, déjà esquissé auparavant mais qui occupe désormais toute la scène. Les fameux Lorrains, piliers des deux premiers tomes, sont relégués au second plan : ils n’ont droit qu’à quelques miettes, comme pour rappeler leur existence sans qu’ils ne portent réellement le récit. 
  
  
 Le roman décrit avec minutie les rouages du scandale, en suivant aussi bien les financiers que les parlementaires compromis. Les retournements de veste, la lâcheté et le cynisme dominent un monde politique et affairiste où chacun cherche à sauver sa peau, quitte à sacrifier des boucs émissaires. Barrès dénonce ainsi un univers où l’intérêt personnel a remplacé toute idée de bien commun. Ses personnages, une fois entrés au Palais-Bourbon, perdent leur identité, deviennent interchangeables et s’éloignent de leurs racines pour sombrer dans un « chacun pour soi » généralisé. 
  
  
 Comme souvent chez Barrès, revient le leitmotiv de la terre et des ancêtres. Mais ici, son constat se fait amer : le scandale du Panama ne débouche pas sur une refondation du régime parlementaire, mais seulement sur le remplacement d’une génération par une autre. Dans le fond, rien ne change, puisque tous demeurent déracinés et incapables d’incarner la France éternelle telle que l’auteur l’appelle de ses vœux. La conclusion est donc teintée de pessimisme, cohérente avec l’évolution de sa pensée mais un peu répétitive. 
  
  
 En définitive, Les Figures apparaît comme le tome le plus fragile de la trilogie. L’idéologie de Barrès y tourne en rond, sans véritable nouveauté, et le souffle qui animait la peinture du boulangisme s’essouffle face au scandale du Panama. Reste malgré tout son style, toujours impeccable, qui confère à l’ensemble une certaine tenue littéraire. 
 
La peur (1930)
Sortie : octobre 2008 (France). Roman
livre de Gabriel Chevallier
Gilead a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
(9 septembre) 
 Dans le prolongement de mes lectures sur la Première Guerre mondiale, après Le Feu d’Henri Barbusse, j’ai choisi La Peur de Gabriel Chevallier, publié en 1930. Ce roman autobiographique, moins célèbre mais à mes yeux plus bouleversant, plonge directement dans l’esprit d’un soldat confronté à l’absurdité du conflit. Contrairement à Barbusse, Chevallier privilégie une narration introspective : le lecteur se retrouve immergé dans les pensées, les émotions et les révoltes du narrateur. 
  
  
 Dès les premières pages, il démonte l’enthousiasme naïf des peuples en 1914, une euphorie collective bâtie sur des mythes nationaux et héroïques, au mépris des cicatrices de 1870. Il souligne la fracture entre l’avant et l’arrière : ceux qui combattent et ceux qui commentent. Les officiers apparaissent comme des figures arrogantes, apprenant la guerre en sacrifiant leurs hommes. 
  
  
 Le récit est traversé par une philosophie du désespoir : le héros n’éprouve ni haine ni exaltation, seulement la volonté de survivre. La guerre devient un combat contre l’ennui, la douleur et surtout contre la perte de sens. La peur, omniprésente, détruit l’estime de soi, oblige parfois à accepter la mort pour continuer à avancer, mais toujours de manière provisoire. Les bombardements, le hasard des obus et la brutalité quotidienne évoquent, par analogie, ce que l’on peut ressentir aujourd’hui sous la menace invisible des drones. 
  
  
 Chevallier dénonce aussi la propagande : celle de la presse, des écrivains (Barrès notamment) et des prêtres qui sacralisent le sacrifice. À l’hôpital, un chapitre marquant distingue trois catégories de blessés , morts en sursis, mutilés « utiles », guéris terrorisés et montre l’absurdité du conflit jusque dans la chair des hommes. Le narrateur y affirme que sa seule patrie est intérieure, dans ses idées, et démonte la vision idéalisée des soldats entretenue par des infirmières nourries à la propagande. 
  
  
 La relation avec le père illustre un autre conflit : celui des générations. Obsédé par le grade de son fils, le père ne cherche jamais à comprendre son expérience, laissant apparaître l’incompréhension entre ceux qui vivent la guerre et ceux qui la jugent de loin. 
  
  
 Grâce à son poste d’agent de liaison, le narrateur offre une vue d’ensemble des horreurs : mutilations volontaires, mensonges des gradés, gendarmes qui surveillent sans combattre, groupes francs dignes de bandits, économie de guerre occultée. L’arrivée des Américains n’y change rien : l’absurdité



